ITW Gérard Le Cam - Sales and Technical support VP @ Lumibird
SDBR News: Vous avez fait une grande partie de votre carrière dans des grands groupes de télécoms (Alcatel, Lucent, Philips Télécoms). Comment êtes-vous arrivé chez Lumibird* ?
Gérard Le Cam : après une période de plus de 10 ans en Asie, au début des années 2000, j’ai souhaité revenir travailler dans ma région. J’ai dirigé le centre de R&D Philips Télécoms, à Lannion qui travaillait dans le domaine des infrastructures télécoms. Lorsque la bulle des télécoms a éclaté, peu de temps après mon arrivée sur Lannion, j’ai rejoint la société Faros, qui a fait jusqu’à environ 20 millions d’euros de chiffre d’affaires. Elle concevait des simulateurs d’apprentissage dans le domaine de l’industrie aéronautique, l’industrie navale et automobile. J’y suis resté quelques années comme directeur général. Elle a été rachetée en 2006 par le groupe Gorgé/ECA. J’ai ensuite rejoint Marc Le Flohic, le fondateur de Lumibird, comme DGA.
SDBR News : Mais avant Lumibird, n’y a-t-il pas eu Keopsys ?
Gérard Le Cam : Marc Le Flohic a un peu un parcours à la « Steve Jobs ». Après son doctorat en physique à Lannion, il est parti aux États-Unis avant de revenir à Lannion, hébergé dans les laboratoires de l’ENSSAT, où il imagine des équipements de mesure optique qui commenceront à être commercialisés par les Japonais. Partie de zéro en 1997, sa société devenue Keopsys (Key Optical Systems) a grandi jusqu’à atteindre une soixantaine de personnes. Préférant se diversifier dans le laser, plutôt que de suivre le mouvement des télécoms, Marc Le Flohic a poussé ses recherches dans le développement de lasers permettant la saisie d’environnements 3D, utilisés dans l’industrie du bâtiment. Autre exemple, la charpente et les niveaux de Notre Dame de Paris avaient été complètement modélisés en 3D avant l’incendie de la cathédrale par ce type d’appareil.
SDBR News : Le laser est-il une technologie d’avenir ?
Gérard Le Cam : Oui je le pense. La photonique est retenue par l’union européenne comme l’une des 6 technologies clés du 21eme siècle. Concernant Lumibird, le laser nous a permis de diversifier notre activité dans le médical (en ophtalmologie : 50% du CA de Lumibird), l’environnement, l’industrie et la défense. Récemment nous avons développé une gamme de lasers qui est utilisée dans le secteur de l’automobile dans le cadre du développement de la conduite autonome. Les caméras ne sont pas suffisamment sensibles pour assurer la sécurité d’un pilotage automatique ; plusieurs techniques existent, telles que des techniques de sonar ou de caméras, et aussi des techniques lasers. Lumibird est présente dans la fourniture de lasers intégrés dans des lidars**; nous espérons qu’elle sera retenue dans l’équipement futur des véhicules autonomes. Nous avons des techniques de laser pouvant servir à de nombreuses applications mais qui se révèlent encore chères aujourd’hui. L’évolution de la photonique est, d’une manière générale, restée encore très traditionnelle. Ceci est en train d’évoluer rapidement : une rupture technologique est en cours avec l’émergence de composants optique miniatures (PIC). Ces PICs intègrent des dizaines de fonctions optiques sur un substrat de la taille d’un confetti et permettra un meilleur bilan optique, une diminution des coûts et une moindre consommation électrique.
SDBR News : En 7 ans le chiffre d’affaires de Lumibird a été multiplié par 9. Comment cela a-t-il été possible ?
Gérard Le Cam : C’est une combinaison de croissance organique et de croissance externe, permise par la saine gestion de l’entreprise et son niveau de rentabilité. Marc Le Flohic avait déjà réussi une première croissance externe régionale sur Lannion avant de prendre le contrôle, en 2017, de la société Quantel (basée aux Ulis) qui avait une technologie complémentaire de l’activité de Keopsys. Cotée en bourse, Quantel fabriquait des lasers destinés à l'instrumentation scientifique, des lasers et échographes pour l'ophtalmologie et des lasers pour la Défense et l’aérospatiale. Les deux sociétés avaient travaillé ensemble à Lannion sur un transfert de technologie sur les lasers à fibre et c’est cette implantation à Lannion qui amène à partir de 2016 le rapprochement progressif du groupe Quantel avec le groupe Keopsys, le Groupe Keopsys-Quantel étant devenu Lumibird en 2018. Plusieurs croissances externes ont été réalisées depuis, dont notamment l’acquisition d’un autre leader mondial des lasers ophtalmiques, la société australienne Ellex, en 2020. En 2016 Keopsys réalisait 17,2M€ de chiffre d’affaires et en 2021 le chiffre d’affaires de Lumibird atteint 162,5M€.
SDBR News : Quel est l’objectif suivant ?
Gérard Le Cam : L’objectif à l’horizon 2023 est de réaliser 300M€ de chiffre d’affaires. Pour y arriver, nous comptons sur une croissance interne de l’ordre de 15% sur notre activité et sur une croissance externe pour le reste, avec une marge d’EBITDA entre 20% et 25%. Notre activité actuelle se répartit comme suit :
le médical, avec Quantel médical qui fait environ 81M€ de CA, soit environ 50% du total du groupe Lumibird.
Les autres 81M€ de CA sont réalisés sur la photonique, avec environ 1/3 sur le marché Industriel et Scientifique, 1/3 sur le marché Défense et Spatial et 1/3 sur les capteurs LIDAR**.
Nous sommes capables aujourd’hui de redonner de la dynamique à toute nouvelle acquisition, grâce à la structuration et l’organisation de Lumibird que Marc Le Flohic a su mettre en place au fil des années.
SDBR News : Que pouvez-vous nous dire sur vos objectifs de croissance externe ?
Gérard Le Cam : La Presse s’est faite l’écho en juillet 2021 du rachat, auprès d’Areva, d’une participation minoritaire dans Cilas, société spécialisée dans le laser militaire et la lutte anti-drones. La Presse a rapporté depuis que Safran et MBDA étaient entrés en négociation exclusive pour acquérir le contrôle de Cilas. L’intérêt de Lumibird pour Cilas est d’accroitre notre activité défense ainsi qu’une complémentarité technologique pour les applications civiles. Nous avons également racheté les activités photoniques de Saab Défense qui doivent être intégrées à Lumibird cette année. Ces activités viendront compléter les produits que nous faisons déjà pour la Défense.
SDBR News : Justement que faites-vous pour la Défense ?
Gérard Le Cam : Lumibird est positionnée sur les trois principales technologies laser qui intéressent la Défense et le Spatial : solide, fibre et diodes, avec des lasers, des amplificateurs et des systèmes Lidar. Nous travaillons pour MBDA, Safran, Thales, Ariane ou Leonardo. Notre stratégie est de pouvoir développer en interne tous les composants stratégiques qui sont nécessaires à nos activités, que ce soit pour nos activités industrielles ou pour nos marchés de défense.
Nous avons une vision ITAR-free de l’Europe, même si nous avons une filiale aux États-Unis qui est présente sur le marché de la défense.
SDBR News : Quelles sont les prochaines étapes du groupe Lumibird ?
Gérard Le Cam : Nous pensons qu’une révolution se prépare sur les capteurs et nous souhaitons pouvoir en maitriser toutes les technologies. Le laser va se développer de plus en plus, être de plus en plus puissant et avoir de plus en plus de précision. Toute technologie en phase avec cette vision nous intéresse donc. Depuis le début, Lumibird suit une stratégie de verticalisation avec la volonté de maîtriser en interne les activités clés. Nous avons par le passé, dans le cadre d’un rachat d’actifs, rapatrié sur Lannion la production de composants que nous achetions auparavant en Asie. Afin de rester compétitif, Lumibird déploie donc une stratégie ambitieuse, basée sur notre capacité d’innovation, la création de synergies commerciales au sein du groupe, l’optimisation de nos achats et une intégration verticale croissante. Nous avons à Lannion plus de 200 personnes sur notre site de production de 3000m². Nous avons en gestation un projet de doublement de notre surface de production qui la portera à 6000m², avec une tour à fibrer et un projet d’automatisation (Automatisation de la Réalisation de Composants Optoélectroniques à Lannion) qui s’inscrit dans cette politique de verticalisation de la production. Ce projet a pour ambition d’optimiser les coûts de fabrication des lasers et des amplificateurs produits à Lannion, avec pour conséquence de favoriser la création d’emplois hautement qualifiés dans le Trégor***.
**La télédétection par laser ou lidar, acronyme de l'expression en langue anglaise «light detection and ranging» ou «laser imaging detection and ranging», est une technique de mesure à distance fondée sur l'analyse des propriétés d'un faisceau de lumière renvoyé vers son émetteur.
*** https://fr.wikipedia.org/wiki/Tr%C3%A9gor
La Technopole de Lannion: https://www.sdbrnews.com/sdbr-news-blog-fr/lannionnbsp-une-technopole-foisonnante-et-un-art-de-vivre
Crédits photos: Lumibird