Nécessaire actualisation de la Loi de Programmation Militaire
Le Gouvernement n’a pas tenu ses engagements en matière de LPM
A défaut de loi, la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat a travaillé pendant 6 mois pour définir le périmètre d’actualisation, qui aurait dû faire l’objet d’un examen par le Parlement.
A l’issue de ces travaux, Christian Cambon, Président de la commission (Les Républicains - Val-de Marne), et Jean-Marc Todeschini (Socialiste Ecologiste et Républicains - Moselle), ont établi dans leur rapport d’information que ce périmètre d’actualisation est au minimum de 8,6 milliards d’euros, et non pas d’un milliard d’euros, comme l’affirme le Gouvernement…
Ce montant recoupe 7,4 Mds € de surcoûts non prévus en LPM et plus de 1,2 Md € de surcoûts à prévoir pour atteindre les objectifs 2025 de préparation des forces.
Plusieurs programmes seront impactés : bâtiments de lutte anti-mines, bâtiment hydrographique, poids-lourds 4/6 tonnes, Eurodrone, véhicules blindés légers (VBL) régénérés, véhicules des forces spéciales… Quant au parc de Rafale, il ne comptera que 117 appareils en 2025, au lieu des 129 prévus.
Parallèlement, le déficit de médecins du SSA s’aggrave encore : il passe de 97 postes vacants en 2020 à 136 en 2021.
« Le Gouvernement nous propose aujourd’hui un débat de quelques heures sur le sujet. C’est très insuffisant, et cela ne peut être que le point de départ pour une discussion plus approfondie avec le Parlement, compte tenu de l’importance des sommes en jeu et du fait qu’il en va de la sécurité des Français » a déclaré Christian Cambon.
« Cette méthode qui consiste à tenir le Parlement à l’écart est inacceptable, et incompréhensible vu le soutien que le Sénat avait apporté à la LPM en 2018 », a estimé pour sa part Jean-Marc Todeschini.
En conclusion de ce rapport, la commission sénatoriale des affaires étrangères et de la défense dresse un constat sans appel à l’égard de ce gouvernement et de son ministre de la Défense et appelle le dépôt d’un véritable projet de loi d’actualisation par la future majorité issue des présidentielle et législatives 2022…
Extraits du rapport sénatorial
L’actualisation de la LPM s’impose par le droit et par les faits
L’article 7 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense (LPM 2019-2025) prévoit expressément qu’elle ferait «l’objet d’actualisations, dont l’une sera mise en œuvre avant la fin de l’année 2021». Cette disposition, issue du texte initial du projet de loi, correspond donc à un engagement du Gouvernement. C’est donc en toute légitimité que la commission des affaires étrangères et de la défense a appelé le Gouvernement à déposer devant le Parlement un projet de loi d’actualisation de la LPM.
Cette obligation d’ordre législatif se double de circonstances exceptionnelles, telles que l’impact de la crise de la Covid-19 sur la situation macroéconomique et l’actualisation de la revue stratégique 2021 faisant état du renforcement de certaines menaces sur les intérêts de la France.
Pour l’application de la revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017, le Sénat a soutenu l’engagement du Président de la République de doter le pays d’un modèle d’armée complet, autonome sur tout le spectre d’intervention, capable « d’entrer en premier » et d’affronter des conflits de «haute intensité» fixés par l’ambition opérationnelle 2030.
En contrepartie, le Sénat a renforcé les capacités de contrôle parlementaire de l’exécution de la programmation, en obtenant du Gouvernement que le «point de contrôle» en 2021 intègre un examen de l’amélioration de la préparation opérationnelle et de la disponibilité technique des équipements ainsi que le surcoût lié au soutien aux grands contrats d’exportation d’armement.
Ce soutien s’est renouvelé lors de l’examen de chaque loi de finances initiale pour les trois premières années 2019, 2020 et 2021, où l’allocation de crédits à la mission «Défense» a respecté la trajectoire de programmation, passant de 35,9 Mds€ en 2019 à 39,2 Mds€ pour 2021.
Néanmoins, certaines fragilités structurelles de la LPM avaient d’emblée été signalées
Seules les 5 premières annuités de 2019 à 2023 ont été votées pour un montant global de 197,8 Mds€, renvoyant les 2 dernières annuités 2024-2025 à un arbitrage ultérieur prenant en compte la situation macroéconomique à la date de l’actualisation et l’objectif de porter l’effort de défense à 2% du PIB en 2025.
L’objectif en valeur de la LPM de 295 Mds € sur toute la période n’est évoqué que dans le rapport annexé à l’article 2 de la LPM, il reste ainsi 97Mds€ sur lesquels pèsent une incertitude programmatique pour 2024 et 2025.
Le rythme de progression annuelle des crédits est déséquilibré. Il est construit suivant une courbe «douce» (+1,7 Md € par an) jusqu’en 2022, jusqu’au terme du quinquennat actuel, puis selon une pente plus prononcée (+3 Mds € par an) à compter de 2023 jusqu’en 2025, renvoyant ainsi l’essentiel de l’effort budgétaire à une majorité présidentielle potentiellement différente.
L’année 2021 constituait donc la dernière opportunité de revoyure de la LPM permettant de contrôler l’exécution par le même gouvernement qui en aura été à l’origine et pourra assumer la responsabilité politique….
L’exécution de la LPM n’est conforme qu’en apparence
S’il faut reconnaître un progrès notable dans la sincérité de la budgétisation des OPEX et des missions intérieures dans la LPM (les prévisions ayant été relevées à 950 millions d’euros en 2019 puis 1,2 Md € à partir de 2020), il n’en reste pas moins que leur coût annuel s’étant établi à 1,4 Md € en 2019 et 2020, le surcoût net de 600 millions d’euros est resté à la charge du seul budget de la défense. L’article 4 de la LPM prévoyant une solidarité interministérielle et limitant la prise en charge du surcoût par la mission «Défense» à sa quote-part du budget général n’a donc pas été respecté.
Les deux premières annuités 2019 et 2020 ont d’ores et déjà donné lieu à des ajustements annuels de la programmation militaire (A2PM) dont l’impact sur la suite de la LPM jusqu’en 2025 s’établit à 2,1 Mds € en faveur de programmes à effets majeurs (PEM) prioritaires dans le Spatial (la détection, les services spatiaux et les stations Syracuse IV), le numérique, l’amélioration de la vie militaire dans le cadre du «Plan famille» (240 millions d’euros) et la Marine (800 millions d’euros pour la provision pour les études de la propulsion nucléaire du futur porte-avions de nouvelle génération). Ces montants ne correspondent pas automatiquement à des dépenses supplémentaires mais entraînent nécessairement la baisse d’autres opérations si l’on raisonne à enveloppe constante.
On peut voir là une des raisons majeures de l’abandon de la mission Barkhane annoncée récemment.
La trajectoire de la LPM doit être fixée en valeur pour sécuriser l’horizon 2025 des forces armées
Du fait de la baisse de -8,2 % du PIB en 2020, pour cause de crise Covid-19, le point de référence d’un budget de la défense à 2 % du PIB en 2025 pour atteindre une valeur de 50 Mds € en loi de finances pour 2025 est en quelque sorte devenue caduque, voire «hors sujet». Quelles que soient les projections retenues, la courbe de croissance du PIB post Covid demeurera inférieure au niveau prévu par la LPM en 2025.
En cas de diminution de l’enveloppe, le risque est grand de remettre en cause la pérennité de certains programmes ou de renchérir le maintien en condition opérationnelle (MCO) de matériels non remplacés dont il faudrait rallonger la durée de vie ou améliorer la disponibilité (anciens avisos convertis en patrouilleurs de haute mer, Mirage 2000, Bâtiments de guerre des mines, etc.).
Il aurait fallu fixer en valeur l’enveloppe globale de la LPM au niveau prévu de 295 Mds€, voire plus, le cas échéant, pour tenir compte de certains surcoûts nets tels que des anticipations de commandes ou des opérations exceptionnelles de soutien à l’export destinées à conforter l’autonomie stratégique de notre base industrielle et technologique de défense (commandes d’une frégate FDI supplémentaire et de 12 Rafale neufs pour combler la cession de 12 Rafale d’occasion à la Grèce).
Une communication mensongère
La communication du Gouvernement sur une actualisation limitée à un milliard d’euros est très largement sous-estimée : le vrai coût des ajustements est de 3,1 milliards d’euros.
Ainsi que l’a rappelé le chef d’état-major des armées lors de son audition devant la commission, l’ajustement opéré ne concerne pas la seule année 2021, mais l’ensemble des années suivantes de la LPM, pour un montant jugé «modeste» au regard de l’enveloppe globale de la LPM.
Les surcoûts
La revue budgétaire d’ensemble de la commission des affaires étrangères et de la défense prend en compte tous les surcoûts constatés et à prévoir pour atteindre les objectifs de la LPM dans un périmètre d’actualisation de 8,6 milliards d’euros : les surcoûts constatés (7,4 Mds €) et, d’autre part, les surcoûts à prévoir pour atteindre les objectifs de la LPM en matière de préparation des forces (1,2 Md €).
L’estimation du coût de cession des Rafale d’occasion à la Grèce (12) et la Croatie (12) demeure délicate. L’absence de données consolidées ne doit pas pour autant conduire à faire l’impasse sur un ajustement budgétaire majeur de la présente LPM. En effet, deux éléments de coûts doivent être pris en considération : d’une part le reste à charge entre le prix de cession des appareils d’occasion et le prix d’achat des appareils correspondant neufs; d’autre part le coût du « re-complètement » en pièces des appareils cédés. Compte tenu du bouclage de l’ensemble de l’opération d’export à la Grèce dans le courant de la présente LPM, le coût global de l’export Grèce est estimé à 780 millions d’euros auquel s’ajoute le coût prévisible de 180 millions d’euros pour l’export Croatie (les 12 Rafale prélevés sur le parc devant être livrés en 2024 et 2025 ; en revanche la commande des Rafale neufs de remplacement devrait s’imputer sur la LPM suivante), soit une estimation totale de 960 millions d’euros d’ajustement sur la LPM.
La commande anticipée et non prévue en LPM d’une 3ème frégate de défense et d’intervention (FDI) pour soutenir le plan de charge de Naval Group sur ses chantiers de Lorient. Le périmètre d’une telle commande s’inscrit dans une fourchette comprise entre 750 millions d’euros et 1Md€.
Enfin, les autres surcoûts, non prévus en LPM et considérés comme certains, s’établissent à 450 millions d’euros sur le programme 178. Ils comprennent la réparation du SNA Perle(60 millions d’euros), le financement du «Ségur de la santé» établissant un complément de traitement indiciaire (85 millions d’euros), la transformation du service du commissariat des armées (235 millions d’euros) et les effets de la loi Egalim (80 millions d’euros).
Les objectifs fixés par la LPM pour l’entretien programmé des matériels ne sont pas respectés : il manque 1,2 milliard d’euros !
La LPM 2019-2025 tirait les leçons de l’accroissement des besoins et portait une réelle ambition pour l’EPM en lui dédiant 35 Mds € sur la période de programmation, dont 22 Mds € entre 2019 et 2023 (soit des annuités de 4,4 Mds €) puis 13Mds € entre 2024 et 2025 (soit des annuités de 6,5Mds €). Les objectifs fixés par la LPM ne sont pas respectés, puisque les montants inscrits en LFI en 2019, 2020 et 2021 sont inférieurs à l’annuité moyenne de 4,4 Mds d’EPM fixée par la LPM : soit 4,2 Mds en 2019, 4 Mds en 2020 et 4,1 Mds en 2021. Les 900 millions d’euros qui n’ont pas été consacrés aux cours des trois premières années d’exécution de la LPM à l’EPM devront s’ajouter aux annuités suivantes de la LPM. Etc.
Ce sont ainsi 1,2 Md € qui s’ajoutent aux annuités initialement prévues par la LPM pour les années 2022, 2023, 2024 et 2025.
Dans tous les secteurs, les discours politiques qui tendent à rejeter les exigences de l’accélération de la préparation opérationnelle à la prochaine LPM ne sont pas compatibles avec la réalité. La capacité à faire face à la haute intensité ne sera atteinte que si la trajectoire est mise en œuvre suffisamment tôt, avec exigence et régularité.
Risques de ne pas atteindre les objectifs 2025 :
retards assumés au titre de l’actualisation 2021 et reports de livraisons et de paiements au-delà de la LPM,
renoncements identifiés et livraisons de matériels revues à la baisse d’ici 2025. Les trois armées sont impactées, qu’il s’agisse de l’armée de l’Air et de l’Espace (drones MALE, -12 Rafale), de la Marine (système de guerre des mines et bâtiments hydrographiques CHOF) mais surtout l’armée de Terre avec une réduction sensible du nombre prévu de véhicules blindés légers régénérés (-123) et de véhicules des forces spéciales.
On peut se reporter au rapport sénatorial exhaustif pour le détail des retards ou amputations de programme : http://www.senat.fr/rap/r20-697/r20-697-syn.pdf
Principaux constats et recommandations de la commission
► La commission dénonce vivement le manquement du Gouvernement à son engagement de mettre en œuvre une actualisation en 2021 et appelle le dépôt d’un véritable projet de loi d’actualisation par la future majorité issue des présidentielle et législatives 2022.
► La commission regrette que l’exigence de transparence envers le Parlement sur la trajectoire financière, l’évolution des effectifs, l’amélioration de la préparation opérationnelle et la disponibilité technique des équipements ne soit pas pleinement respectée.
► La commission a identifié un périmètre d’actualisation de 8,6 Mds €, répartis entre7,4 Mds € de surcoûts non prévus en LPM (dont 3,1 Mds € d’ajustements opérés en A2PM 2019, 2020 et 2021 en faveur de programmes prioritaires) et plus de 1,2 Md € de surcoûts à prévoir pour atteindre les objectifs 2025 de préparation des forces.
►La trajectoire pour les deux dernières annuités 2024 (47 Mds €) et 2025 (50 Mds €) doit être fixée en valeur afin de sécuriser l’enveloppe globale de la LPM (295 Mds €).
► L’article 4 de la LPM prévoyant une solidarité interministérielle pour le financement des surcoûts OPEX doit être appliqué.
►Instituer un retour au budget de la défense de l’intégralité du produit de cession à l’export de matériels d’occasion à l’instar de l’article 3 de la LPM relatif aux cessions immobilières.
Crédits photos: Arquus, Dassault Aviation, Naval Group