Sans bruit, la Marine indienne lutte contre la piraterie maritime…
Résurgence de la piraterie au large de la Somalie
Le 29 mars dernier, la Marine indienne a répondu à un appel de détresse d’un chalutier intercepté par des pirates, l’Al Kambar. Le bateau de pêche se trouvait à environ 90 milles marins au sud-ouest de Socotra – une île du Yémen dans l'océan Indien, au large de la corne de la Somalie – lorsque neuf pirates armés sont montés à bord et ont pris en otage les 23 membres de l’équipage.
A noter :
le chalutier battait pavillon iranien, donc il appartient à un pays, l’Iran, qui soutien la lutte armée des rebelles Hutis Yéménites, lesquels attaquent régulièrement les navires commerciaux qui s’aventurent en mer Rouge.
Les 23 membres de l’équipage étaient pakistanais.
Les pirates étaient probablement somaliens, vu la recrudescence des attaques au large de la Somalie depuis 4 mois.
Dès l’appel de détresse du chalutier iranien reçu par la Marine indienne, 2 navires de guerre se sont déroutés pour intervenir :
l’INS Sumedha - une frégate de patrouille de classe Saryu construite par les chantiers Goa indiens et embarquant 120 hommes d’équipage - a intercepté le bateau de pêche Al-Kambar au petit matin.
Il a ensuite été rejoint par la frégate lance-missiles INS Trishul – une frégate furtive lance-missiles de classe Talwar lourdement armée, conçue et construite par la Russie pour la marine indienne, et emmenant 180 hommes d’équipage.
Après 12 heures de « manœuvres tactiques coercitives intenses », selon la Marine indienne, les 9 pirates se sont rendus et les otages ont pu être libérés.
Les pirates auraient été emmenés en Inde pour faire face à des accusations liées à la piraterie. Ils partageront le sort de plusieurs pirates somaliens déjà arrêtés par les forces indiennes après avoir attaqué des bateaux de pêche dans la même région ces dernières semaines, probablement pour tenter de les utiliser plus tard comme bateaux-mères pour des raids contre des navires plus gros.
Les attaques contre des navires marchands, par le lancement de missiles ou de drones kamikazes, sont assez faciles à attribuer aux rebelles Hutis qui participent ainsi à compliquer la tache des Américains dans la région.
La prise d’otages par des pirates abordant des navires dans la région est plutôt dans la tradition somalienne. La recrudescence d’actes de piraterie au large de la Somalie peut être une question d’opportunité dans un contexte régional troublé, mais il ne faut pas nécessairement écarter l’idée de l’ouverture opportune d’un nouveau foyer de tensions en mer d’Oman pour occuper les Marines de la coalition commandée par les Américains.
Un rôle de premier plan pour contrecarrer la piraterie maritime
Le ministre américain de la Défense Lloyd Austin avait annoncé, le 18 décembre 2023, la formation d'une « coalition internationale en mer Rouge visant à contrer les attaques irresponsables des rebelles houthis du Yémen sur le trafic maritime ». Cette coalition comprend dix pays alignés sur les Américains : six Européens (France, Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas, Norvège, Espagne), plus le Bahreïn, le Canada et les Seychelles.
L’Inde ayant depuis longtemps une position souveraine sur la protection de ses frontières et de son espace maritime, et faisant par ailleurs partie des BRICS*, n’a pas intégré cette coalition.
Mais elle ne s’interdit pas pour autant d’intervenir pour assurer la sécurité dans son espace maritime de proximité ou pour porter assistance à qui en a besoin.
La Marine indienne a donc décidé de jouer un rôle de premier plan pour contrecarrer les tentatives de prises d’otages en mer et de détournements de navires marchands au large de la Somalie, dans la mer d’Oman et dans le golf d’Aden (au large de Djibouti).
C’est ce qui s’est passé le 29 mars pour aider l’équipage du chalutier Al Kambar et c’est ce qui s’était déjà passé le 14 mars pour la libération des 17 membres d’équipage du MV Ruen, détourné et détenu depuis le 23 décembre 2023.
L’opération des forces spéciales indiennes contre le MV Ruen
Le MV Ruen, un vraquier de 185 mètres de long et 31 mètres de large, avait été capturé à environ 1400 kms au sud-ouest de Goa, soit à mi-chemin entre Goa (Inde) et l’ile de Socotra (Yémen) en plein milieu de la mer d’Arabie.
Des unités indiennes furent alertées et l’INS Kochi - l’un des trois destroyers lance-missiles furtifs et guidés construits pour la Marine indienne par Mazagon Dock Limited (MDL) – fut dépêché pour intercepter le Ruen avant qu’il n’arrive dans les eaux territoriales somaliennes. Malheureusement ce fut peine perdue…
La Marine indienne, dans le cadre de ses opérations de sécurité maritime, a mené une vaste surveillance de la région et a ainsi pu suivre les mouvements du MV Ruen devenu « bateau mère » des pirates.
Le 14 mars 2024, les renseignements fournis permirent donc à la Marine indienne de suivre le MV Ruen parti de la côte somalienne et se dirigeant vers la haute mer. Elle ordonna à l'INS Kolkata – un autre des trois destroyers de même classe qui opérait dans le Golfe d’Aden - de se dérouter pour l'intercepter, ce qui fut fait à environ 260 Nm à l'est de la Somalie.
Grâce à un drone lancé depuis le destroyer, la Marine indienne a pu confirmer la présence sur le Ruen de 35 pirates armés qui, dans un acte hostile et imprudent, ont abattu le drone et ont tiré sur le navire de guerre de la Marine indienne.
Pendant les 40 heures qu’a duré l’intervention de la Marine indienne, le Kolkata se maintenait proche du Ruen et une « réponse calibrée conforme aux lois internationales » a pu être apportée à ces actes hostiles : entre autres, la désactivation du système de pilotage et des aides à la navigation du navire (NAVAIDS, GPS, Antenne Radio), forçant le bateau pirate à stopper. On imagine que des plongeurs de combat ont du travailler à ce résultat.
Parallèlement, plusieurs tentatives de négociation ont été tentées avec le « Chef des Pirates » pour obtenir la garantie que les otages étaient bien traités. Malgré le refus des pirates de se rendre, la situation a semble-t-il réussi à se débloquer au bout de 40 heures, les pirates étant cernés et immobilisés avec un espoir irréaliste de pouvoir s’enfuir.
L’opération anti-piraterie avait été complétée par le déploiement de l'INS Subhadra sur zone, le 16 mars au matin, ainsi que par le largage aérien de Commandos Marines (PRAHARS) par des avions C-17 dans l’après-midi. De plus, le navire pirate était gardé sous surveillance par un drone HALE (haute altitude longue endurance) et par un avion de surveillance maritime Boeing P-8i Poséidon.
Au cours de l'opération de sauvetage, l'INS Kolkata a donc réussi à forcer les 35 pirates à se rendre et à assurer l'évacuation en toute sécurité des 17 membres d'équipage du navire maltais, sans aucun blessé. Les Somaliens capturés devraient être jugés pour piraterie en Inde.
Assurer la paix et la stabilité dans la région : la mission de la Marine indienne
Le détournement du MV Ruen en décembre 2023 avait marqué le retour de la piraterie somalienne dans l'océan Indien, après une accalmie de près de sept ans…
« L'opération anti-piraterie impliquant le bateau - devenu pirate - Ruen souligne l'engagement de la Marine indienne à renforcer la paix et la stabilité, ainsi qu'à contrecarrer la résurgence de la piraterie dans la région » ont déclaré les autorités indiennes, ajoutant « la Marine indienne reste déterminée à accomplir son rôle de premier intervenant dans l'IOR (États riverains de l’océan indien)… La Marine indienne reste déterminée à assurer la sécurité maritime dans la région et la sécurité des gens de mer, quelle que soit leur nationalité".
Dans un prochain article, nous reviendrons sur le détail des actions menées par la Marine indienne** depuis le 23 décembre 2023.
*Les BRICS sont un groupe géopolitique regroupant dix pays du « Sud global » : Brésil, Chine, Inde, Afrique du Sud, Égypte, Iran, Russie, Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Éthiopie.
** Merci aux services de l’ambassade d’Inde à Paris pour leur aide apportée à la collecte d’information