Eric Davalo VP Stratégie & Développement Airbus SLC
/SDBR News : Pouvons-nous parler aujourd’hui des réalisations d’Airbus SLC en Europe du nord ?
Eric Davalo : En Europe du nord nous avons des réseaux nationaux basés sur la technologie Tetra, en Suède, en Finlande, en Estonie et en Allemagne. Nous avons aussi des réseaux locaux, particulièrement pour les transports, en Norvège et en Allemagne. Si nous regardons un peu plus au sud nous avons des réseaux nationaux en Hongrie, en République Tchèque, en République Slovaque et en Suisse. Tous ces pays sont équipés de matériels Airbus. C’est une région qui est aussi très active pour l’utilisation des réseaux mobiles Très Haut Débit (THD). Il en est ainsi de la Finlande, un pays fondateur pour nous, car elle a été le premier réseau Tetra du temps où l’activité appartenait à Nokia. C’est un pays qui a lancé son évolution vers le Très Haut Débit (THD) il y a déjà 5 ans, avec un plan précis étape par étape : dans ce plan était contractualisé un accès radio, avec l’opérateur mobile Elisa (qui a été le premier opérateur à commercialiser le réseau 5G) et l’achat d’un cœur de réseau Ericsson, ce qui a été fait en 2020 ; en 2021 a été signé un accord avec Airbus SLC pour fournir des services de transition vers le THD qui permettent d’accéder aux services MCPTT (Mission Critical Push To Talk) équivalents à du Tetra sur un réseau LTE. Le MCPTT permet des fonctions de communications groupe – voix - data sur le réseau 4G. Les services de transition fournis par Airbus SLC permettent une interopérabilité unique avec le système Tetra ainsi qu’une évolution simplifiée et par étapes sous le contrôle des utilisateurs.
SDBR News : Ce fut un grand succès pour Airbus SLC de pouvoir accompagner les Finlandais dans ce projet innovant…
Eric Davalo : Oui en effet, nous sommes ravis de pouvoir les accompagner car tous les services de communication mobile sécurisée et communication de groupe fournis par le réseau Tetra vont être aussi disponibles sur le réseau 4G, pendant la période de transition, grâce aux services d’Agnet, la solution d’Airbus. Le contrat finlandais a été signé et nous commencerons à le mettre en œuvre avant la fin 2022. Ce contrat est devenu un moteur pour nos activités en Europe du nord puisque les Suédois suivent un plan similaire : ils ont sélectionné un opérateur mobile et doivent bientôt choisir un fournisseur de cœur de réseau, et en parallèle nous avons déjà commencé à mener avec les Suédois des essais sur le terrain pour l’utilisation d’Agnet, donc du MCPTT sur du réseau 4G. Il existe une forte interaction entre la Finlande et la Suède dont les réseaux Tetra sont interconnectés, ainsi qu’avec leur voisin norvégien: cela signifie qu’un policier ou un pompier finlandais peut partir en Suède et continuer à se connecter pour entrer en communication soit avec les forces suédoises soit avec les forces finlandaises. La Finlande a été d’ailleurs très impliquée dans le projet européen Broadway.
SDBR News : Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est le projet Broadway ?
Eric Davalo : Début 2019, la Commission Européenne a lancé l'appel d'offres pour le projet BroadWay, afin de définir la nouvelle génération de systèmes de communication haut débit interopérables pour la sécurité publique et les organismes de secours en Europe. L'objectif de ce projet, financé par l’Union Européenne, est de permettre l'interopérabilité au-delà des frontières sur la base des technologies 4G ou 5G et des services MCS de communications de groupes sécurisées. Au total, 11 pays de l'Union Européenne – qui exploitent généralement les réseaux Tetra ou Tetrapol dans leurs pays respectifs – participent au projet. En outre, environ 49 organismes d'intervention dans 14 pays, tels que la police, les pompiers et les services médicaux d'urgence, sont impliqués dans l'évaluation des solutions proposées ; 60 autres organisations ont exprimé leur soutien au projet. BroadWay couvre 1,4 million des 3,5 millions d'utilisateurs d'organismes d'intervention en Europe. Un consortium mené par Airbus a été sélectionné pour ce projet en trois phases. Nous en sommes à la phase finale avec les démonstrations techniques déjà effectuées et, au mois de juin, les démonstrations sur le terrain. Nous avons pu démontrer l’interopérabilité du système en utilisant des opérateurs au Luxembourg, en Belgique, en Hollande, en Lituanie et en Slovénie, ainsi que le réseau privé 4G d’Airbus sur son site industriel de Toulouse. Nous avons ainsi démontré qu’on pouvait passer d’une frontière à l’autre et d’un réseau à l’autre, même privé, sans difficulté.
SDBR News : Est-ce que le projet européen Broadway peut amener des développements spécifiques dans les pays ?
Eric Davalo : Oui bien entendu. Ainsi c’est la demande des Finlandais et des Suédois de faire évoluer l’interopérabilité entre leurs réseaux Tetra en y intégrant des terminaux de communications mobiles en THD. En Finlande, Airbus et Erillisverkot Group, l’opérateur du réseau de sécurité de l'État Virve, ont signé début 2020 le renouvellement de leur contrat de maintenance jusqu'en 2025. Virve est une organisation appartenant au gouvernement finlandais qui fournit les communications sécurisées pour toutes les forces de sécurité et de secours : police, sécurité civile, pompiers, urgences, hôpitaux, etc. En Suède existe une organisation identique nommée MSB (Myndigheten för samhällsskydd och beredskap), qu’on peut traduire par « Agence civile suédoise des événements imprévus », qui couvre 90.000 utilisateurs du réseau Tetra de MSB. Airbus a signé avec MSB un contrat pour prolonger de 3 ans la maintenance de ce réseau et le faire évoluer. Dans l’évolution prévue existe la capacité à passer au MCPTT (réseau 4G) comme en Finlande. La Suède est le pays où le réseau Tetra d’Airbus est le plus vaste après l’Allemagne.
SDBR News : Peut-on parler du marché allemand ?
Eric Davalo : L’Allemagne est le pays qui dispose du plus gros réseau Tetra au monde en termes de nombre de relais radio, avec l’équivalent de 5000 relais radios et près d’un million d’utilisateurs : forces traditionnelles de sécurité, plus les polices locales, plus un certain nombre d’OIV. C’est un réseau très dense et très utilisé. Nous sommes en train de préparer le renouvellement complet du cœur de réseau en passant à la technologie IP sur du Tetra, avec le renouvellement d’une partie des relais radios pour pouvoir utiliser ce réseau jusqu’en 2030/2035. En parallèle, nous procédons à des évaluations sur notre technologie Agnet et nous faisons des démonstrations pour montrer les possibilités du Broadband mobile. Concernant Agnet, nous n’en sommes plus aux tests technologiques, mais essentiellement aux questions de savoir comment l’introduire auprès des différents utilisateurs dans la spécificité de chaque pays : organisation, doctrines d’engagement, accessoires audio, capacité des terminaux, etc. L’adoption d’Agnet dans un pays demande de travailler avec les utilisateurs pour les aider à définir leur nouvelle doctrine d’emploi et le type de terminaux et d’accessoires dont ils auront besoin sans oublier la sécurité d’ensemble. Nous avons déjà accompli avec succès ce parcours pour des forces de sécurité et de secours en Europe mais aussi sur d’autres continents.
SDBR News : Etes-vous présents en Suisse ?
Eric Davalo : En Suisse, c’est le réseau de radiocommunication national Polycom qui avait été installé par Airbus, par l’intermédiaire de son partenaire suisse Atos, qui est destiné aux missions critiques depuis 2000. Le réseau comprend 40 commutateurs principaux, 110 commutateurs secondaires et plus de 750 stations de base. Il dessert 55.000 utilisateurs, dont les forces de police cantonales et fédérales, les sapeurs-pompiers, les secouristes, les agents de la protection civile, les gardes-frontières et l’armée. En 2017, le projet suisse « Maintien de la valeur de Polycom 2030 » visait la mise en place d’un réseau de radiocommunication durable basé sur la technologie Tetrapol, le système progressivement modernisé migrant de la technologie Time Division Multiplexing (TDM) existante à la technologie Internet Protocol (IP). C’est ce qui est en train d’être fait avec la validation sur deux cantons avant de faire un déploiement complet sur tout le pays. Parallèlement, grâce à des initiatives intéressantes, nous avons pu démontrer comment utiliser notre solution Agnet avec des solutions d’Internet des Objets pour améliorer la sécurité et la compréhension tactique des intervenants.
SDBR News : Comment s’intègre l’Internet des Objets à un réseau Tetra ?
Eric Davalo : Il existe deux types d’Internet des Objets qui sont utilisés : les capteurs mobiles ou embarqués et les capteurs fixes. Concernant les capteurs embarqués sur les primo intervenants, de nombreux capteurs existent sur le marché : pour détecter les mouvements cardiaques, pour identifier un type de gaz, pour détecter des accélérations, etc. Ces informations captées peuvent être envoyées à l’outil Agnet qui les traitera au travers d’applications spécifiques et les partagera en fonction de la situation et des intervenants. Le fait de détecter des situations bizarres ou dangereuses peut permettre au dispatcher d’alerter le groupe d’intervention auquel appartient l’agent qui émet ces informations et de déclencher automatiquement des actions préventives ou réactives comme le déclenchement d’une caméra fixe ou piéton. Les capteurs fixes peuvent être des capteurs NRBC, par exemple, et donc permettre de déclencher une alerte. Le but consiste à raccorder les capteurs à une mission ou à une opération. La capacité d’interopérabilité de la solution Agnet d’Airbus permet de tirer parti des réseaux mobiles THD et des réseaux Tetra pour apporter ces nouveaux services aux primo-intervenants.
SDBR News : En rajoutant des informations de capteurs, n’y a t’il pas un risque de saturation des opérationnels ?
Eric Davalo : Il y a deux sujets importants. Premièrement, le capteur doit être intégré à une mission qui peut être définie par un groupe de personnes ou par une aire géographique. Deuxièmement, le traitement de l’information remontée doit être prédéfini de façon à ce que le résultat de ce traitement soit immédiatement utilisable par l’intervenant ou par le dispatcher. Le travail principal n’est pas de nature technologique mais de pouvoir décrire précisément la doctrine d’emploi et de l’implémenter de façon vraiment opérationnelle. L’information pour l’information n’est pas utilisable opérationnellement. Nous travaillons aussi beaucoup sur la reconnaissance vocale et le traitement du langage pour automatiquement déclencher des actions ou fournir des informations au primo-intervenant par l’audio. En effet l’audio reste le moyen de communication privilégiée dans beaucoup de situations critiques.
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Crédit photo: Airbus