Interview exclusive de Jean-Baptiste Fantun - CEO de NukkAI
/SDBR News : Quelle est l’originalité de NukkAI* ?
Jean-Baptiste Fantun : NukkAI est née de ma rencontre en 2012 avec Véronique Ventos, qui à l’époque était chercheuse en intelligence artificielle (IA), autour d’une table de bridge, donc d’un jeu. Véronique avait une vision de l’IA qui était différente de ce qui était communément admis, à savoir que ce n’était pas seulement le Big Data et le deep learning, et qu’il y avait moyen de coupler les méthodes d’IA numérique avec les méthodes symboliques pour obtenir de l’explicabilité dans une IA hybride. Il y a plusieurs intelligences chez l’être humain : l’intelligence d’apprentissage, chez le bébé qui apprend à distinguer un chien d’un chat, l’intelligence de planification, lorsque je planifie mes vacances, l’intelligence créatrice, etc. Jusque-là les intelligences artificielles étaient focalisées sur une seule tâche : par exemple, un réseau de neurones ne fait que de l’apprentissage. Nous nous sommes donc dit, pourquoi notre intelligence artificielle ne regrouperait-elle pas plusieurs intelligences ?
SDBR News : Et qu’en avez-vous conclu ?
Jean-Baptiste Fantun : C’était la philosophie de notre projet, le but étant d’en faire la démonstration sur un jeu : le bridge, qui était le dernier jeu où la machine n’était pas aussi forte que l’homme. Notre objectif a donc été de démontrer que la machine pouvait relever ce dernier grand challenge, sachant que si nous y arrivions nous pourrions certainement résoudre un certain nombre de problèmes de la vie réelle. Et donc en 2018 nous sommes partis dans l’aventure NukkAI. Nous avons levé des fonds auprès de business angels et, pendant un an, nous avons travaillé sur le jeu de bridge avec des chercheurs issus de différentes communautés IA et nous avons publié des articles sur notre différenciant. Je me suis mis en quête de débouchés en entreprise et le domaine de la Défense a été le premier à nous écouter avec attention.
SDBR News : Pourquoi seule la Défense a été sensible à votre approche ?
Jean-Baptiste Fantun : Parce que nous présentions une solution collaborative, qui maintienne l’humain dans la boucle, explicable et qui ne soit pas seulement basée sur des données. Cette vision parlait au monde de la Défense et c’est comme cela que nous avons commencé en 2019, avec Thales, à travailler sur un réseau de radars collaboratifs. En mars 2022, nous avons fait venir à Paris huit champions du monde de bridge (4 hommes et 4 femmes) qui pendant 2 jours se sont confrontés à notre IA.
SDBR News : Et que s’est-il passé ?
Jean-Baptiste Fantun : Notre IA les a tous battus ! Ce n’était pas IBM pour le challenge Echec, ce n’était pas Google pour le jeu de Go, non ! Pour le Bridge c’était une start-up française de 22 personnes, NukkAI, qui venait de réaliser cet exploit ! Le premier mail de « Félicitations » nous est venu de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) américaine et le deuxième est venu de Palantir Technologies (qui travaille entre autres pour la CIA, la NSA et le FBI)…
SDBR News : Au-delà de l’aspect jeu et challenge, quel était le but de ce défi ?
Jean-Baptiste Fantun : Le but était de montrer que notre IA fonctionnait, qu’elle était explicable (à chaque coup, le robot pouvait expliquer sa stratégie) et ne consommait pas trop d’énergie. Nous avions testé nos algorithmes sur le supercalculateur du CNRS et nous avions montré que nous dépensions 200.000 fois moins de ressource-machine que le challenge du GO ! La question fut alors de démontrer l’applicabilité de notre solution à d’autres domaines que le bridge. Le hasard a bien fait les choses, puisque nous est arrivé un projet de gestion logistique avec Transavia : planification et optimisation de plannings complexes. Là où les équipes de Transavia mettaient 10 jours, nous avons configuré notre algorithme pour qu’il arrive au même résultat en 10 minutes ! Donc, depuis janvier 2023, nous opérons toutes les rotations de Transavia. Et d’autres compagnies aériennes viennent maintenant nous voir. L’allocation optimale de ressources est une activité civile qui se développe bien pour NukkAI, que ce soit dans le transport aérien ou le transport maritime, mais qui pourrait intéresser aussi la gestion satellitaire, par exemple.
SDBR News : Et dans le domaine Défense ?
Jean-Baptiste Fantun : Nous avons fait un POC avec l’OTAN pour la fusion de données hétérogènes, à partir d’informations en source ouverte, fermée ou grise, voire dans des langues différentes. Un outil qui soit capable de capter et d’agréger ces différentes données, de façon automatique, pour les envoyer à l’analyste avec une information déduite relative aux menaces, intéresse fortement bien sûr les militaires. Voila ce que nous testons aux cotés de Thales dans le projet d’aide à la décision « Anticipe » de l’OTAN.
SDBR News : Et y a-t-il d’autre projets dans les cartons dans le domaine Défense ?
Jean-Baptiste Fantun : Nous avons un projet dans le combat collaboratif, aux cotés du SCAF pour l’aérien et de Scorpion pour la cavalerie et les véhicules blindes, avec le Naval : il s’agit de coordonner une surveillance côtière avec des drones entre autres. Dans le cadre du programme Scorpion, nous travaillons aussi sur le projet d’agression collaborative, appelé Hyperion, aux cotés de Thales, Nexter et Safran.
SDBR News : Avez-vous des projets de recherche pour le domaine du Renseignement ?
Jean-Baptiste Fantun : Nous nous intéressons au sujet avec une vision différente de ce qui est communément admis en matière de renseignement. En général, nous interrogeons la machine pour qu’elle retraduise ce que l’humain lui a fourni et c’est comme cela que le couple homme-machine est vu le plus souvent. Or nous pensons que la machine pourrait interroger l’humain, en lui demandant de distinguer entre deux hypothèses possibles qu’elle lui fournirait. C’est dans cette idée que nous regardons la communauté du renseignement avec intérêt.
SDBR News : Quel est votre tableau de marche?
Jean-Baptiste Fantun : Nous avons un enjeu de passage à l’échelle, en accélérant sur Transport Logistique et Défense, mais nos algorithmes peuvent aussi être utiles au secteur de la Santé et au secteur de la Finance. En janvier 2024, nous organiserons une grosse levée de fonds pour accélérer sur nos secteurs actuels et développer de nouvelles verticales.