ITW de Dominique Chauveau - Responsable Cyberdéfense Factory

L’interview de Dominique Chauveau, Responsable Cyberdéfense Factory, a été réalisée par Alain Establier lors de l’European Cyber Week qui s’est tenue à Rennes du 16 au 18 novembre 2021

SDBR News : Comment êtes-vous devenu responsable de la Cyberdéfense Factory ?

Dominique Chauveau : Je travaille depuis quelques années dans le domaine Cyber et j’ai été responsable, à partir de 2011, d’un des premiers départements du centre d’expertise et d’essais DGA Maîtrise de l’information (DGA MI) qui a absorbé la montée en puissance du Cyber : nous sommes passés d’une centaine de personnes à plusieurs centaines aujourd’hui et 400 recrutements sont prévus d’ici 2025, dont la majeure partie sur le site de Bruz ! En parallèle de cette montée en puissance, DGA MI a souhaité contribuer au développement de l’écosystème rennais. C’est ce qui a donné lieu aux travaux de mise en place du Pôle d’Excellence Cyber (PEC) avec ses trois axes : Recherche, Formation et Développement économique. Sur l‘axe Recherche, nous avons aujourd’hui l’accord général de partenariat signé entre la Région Bretagne, le ministère des Armées et plusieurs laboratoires de recherche. Avec le PEC, nous travaillons également sur l’axe Formation et sur l’axe Développement économique, l’installation des industriels de Défense œuvrant dans le Cyber, comme Airbus ou Thales, en région Bretagne. Coté DGA, nous avons commencé à développer à partir de 2016 les technologies d’intelligence artificielle et, en  2017, j’ai pris la responsabilité du département IA, poste que j’ai occupé jusqu’à fin 2020. Fin 2020 je suis revenu sur le domaine Cyber et j’ai pris en particulier la responsabilité de la Cyberdéfense Factory qui vise à développer rapidement des cyber solutions innovantes et pouvant faire appel aux technologies d’intelligence artificielle.

SDBR News : Qu’est-ce donc que cette Cyberdefence Factory ?

Dominique Chauveau : La Cyberdéfense Factory a été inaugurée par la ministre des Armées en octobre 2019 et les premières sociétés sont arrivées en janvier 2020. La Factory vise à favoriser l’innovation avec une offre de services : un hébergement, l’accès à des données d’intérêt cyber et la capacité à développer et tester les solutions avec des experts et des opérationnels du ministère des Armées. Elle peut en particulier jouer le rôle de «couveuse d’entreprise» pour de jeunes start-up prometteuses, mais des labos ou PME peuvent également déposer des projets. Ce lieu expérimental et unique en France est situé à Rennes. Il est supervisé par le commandement de la cyberdéfense (le COMCYBER) en synergie avec le centre DGA MI et l’Agence de l’Innovation de Défense (AID), et j’en suis le responsable, en tant que personnel DGA. L’objectif face à une menace grandissante est de trouver vite des solutions pour répondre rapidement à cette menace.

SDBR News : Est-ce que cela passe par l’automatisation systématique ?

Dominique Chauveau : Pas forcément. Pour aller vite il faut être capable d’innover vite, c'est-à-dire travailler de façon agile. C’est pour cela que nous proposons, aux entreprises hébergées dans la Cyberdéfense Factory, un échange direct avec les experts de DGA MI, l’AID et les opérationnels du COMCYBER : travailler directement avec les porteurs du besoin permet d’interagir en boucle courte pour que les développements aillent vite et répondent précisément au vrai besoin. En outre, nous souhaitons offrir aux start-up hébergées la possibilité de développer des briques technologiques à base d’intelligence artificielle. Donc quatre avantages à venir à la Cyberdéfense Factory : un lien direct avec les opérationnels, l’accès à de la donnée d’intérêt cyber orientée Défense, l’accès à une infrastructure Cloud comprenant espace de stockage et capacité de calculs, et un accompagnement pour croitre avec une fertilisation croisée. Nous cherchons des technologies dans le domaine civil dont nous accompagnons la montée en compétence sur des domaines porteurs d’innovation.

SDBR News : Avez-vous un exemple à nous donner ?

Dominique Chauveau : LumenAI, entreprise spécialisée dans la Data Science et l’Intelligence Artificielle, que nous avons été chercher pour l’accompagner à développer des outils répondant à des problématiques de lutte informatique défensive : la détection d’anomalies dans des Logs. Autre exemple avec Sahar, spécialisée dans la collecte, l’analyse et la visualisation de données massives, qui progresse avec nos experts en intelligence artificielle pour l’analyse des réseaux sociaux, dans le cadre de la lutte informatique d’influence. Le lien direct avec nos experts et les opérationnels est extrêmement apprécié par les entreprises que nous hébergeons.

SDBR News : Est-ce que la technologie développée dans la Cyberdéfense Factory reste la propriété de l’entreprise ?          

Dominique Chauveau : Tout ce qui est développé dans la Cyberdéfense Factory reste la propriété intellectuelle de l’entreprise hébergée, laquelle nous met à disposition gratuitement le prototype développé pour expérimentation. Si la technologie convient, nous pouvons la mettre au catalogue du ministère des Armées une fois qu’elle est industrialisée pour que les armées puissent l’acheter.

SDBR News : Combien d’entreprises ont-elles bénéficié de cet hébergement depuis janvier 2020 ?

Dominique Chauveau : La première a été GLIMPS, qui a quitté la Factory en février 2021. Ce sont quatre anciens de la DGA qui ont lancé cette start-up. Comme ils vont être bientôt trente, les locaux de la Factory n’était plus suffisamment grands pour les accueillir et, de toute façon, l’hébergement est contractuellement prévu pour une période de 6 mois (renouvelable une fois). Aujourd’hui, il y a trois sociétés hébergées dans la Factory (Malizen qui émane de l’INRIA Rennes, LumenAI et Sahar) et deux autres devraient intégrer la Factory début 2022, l’une étant orientée sur la sécurité des systèmes industriels. Nos locaux peuvent héberger jusqu’à sept sociétés, donc il y a encore de la place pour des candidats. Nous avons souffert comme tout le monde de la période COVID pour remplir notre objectif. Les start-up peuvent être nées n’importe où en France et être hébergées ensuite à la Factory rennaise. Nous leur apportons de la visibilité et une sorte de « labellisation » face à des investisseurs potentiels.

https://www.defense.gouv.fr/aid/actualites/la-cyber-defense-factory-reunir-civils-et-militaires-pour-developper-des-projets-de-cyber-defense-innovants

SDBR News : Les opérationnels jouent-ils le jeu de la collaboration avec les start-up hébergées ?

Dominique Chauveau : Les opérationnels jouent le jeu dès lors qu’ils identifient l’application directe de la solution apportée pour leur périmètre. Le propre de l’innovation que nous recherchons est aussi d’explorer de nouvelles techniques. En cela, il peut s’installer un gap entre les acteurs. A nous d’étendre le champ des opérationnels, au sein du ministère comme en interministériel, pour optimiser le modèle de Cyberdéfense Factory qui est un succès en soi. A ce titre, nous partageons avec l’ANSSI et nous instruisons une candidature dont le projet pourrait bénéficier au ministère de l’Intérieur. Nous envisageons aussi de pouvoir dialoguer avec certains opérateurs d’importance vitale.

Crédits photos: DGA