LES PRISONNIERS DE GUERRE DE LA GRANDE ARMÉE EN RUSSIE
/Le Président Vladimir Poutine ayant déclaré dans son discours du 29 février 2024 : « Nous nous souvenons du sort de ceux qui ont un jour envoyé leurs contingents sur le territoire de notre pays… » faisant ainsi référence à la Grande Armée napoléonienne en 1812/1813.
Nous avons voulu faire un retour sur le destin de ces soldats après la défaite en territoire russe et nous avons donc demandé au docteur Khomtchenko, PhD en Histoire et Chercheur en chef du Musée « Champ de Borodino », de nous éclairer.
LES PRISONNIERS DE GUERRE DE LA GRANDE ARMÉE EN RUSSIE
Par S.N. Khomtchenko, Chercheur en chef du Musée « Champ de Borodino* »
Article traduit par le docteur HDR Gaël-Georges Moullec.
Le nombre total des généraux, des officiers et des soldats de la Grande Armée faits prisonniers au cours des combats de 1812-1813 s'élève à 111.000 personnes, dont 38 généraux et 3.200 officiers, soit un cinquième des troupes qui ont envahi la Russie.
Durant les combats de 1813-1814, ce sont environ 60.000 hommes supplémentaires qui ont été faits prisonniers, dont 800 officiers.
A la suite de leur capture, les prisonniers de guerre sont convoyés au quartier général d'une armée ou d'un corps d'armée, où ils sont accueillis, comptabilisés et envoyés vers leur lieu de captivité. Les prisonniers de guerre sont stationnés alors dans la quasi-totalité des 45 provinces et des 2 régions de la partie européenne de l'Empire russe.
Les convois de prisonniers sont gardés jusqu’à leur destination finale par des militaires et des membres des milices paysannes, dirigés par des officiers ou des fonctionnaires nobles. Le règlement de l’époque précise que « les prisonniers ne doivent, jamais et par personne, être harcelés, mais ceux-ci doivent se comporter avec modestie et obéissance, ce pour quoi ils vont être surveillés, le tout en leur inculquant le fait que tous seront considérés responsables du comportement insolent d’un seul d’entre eux ».
Pour le transport des prisonniers, des charrettes réquisitionnées sont attribuées (une pour 12 soldats ou pour 2 officiers). Les autorités civiles sont tenues d'assister les équipes de convoi sur leur chemin et de fournir aux prisonniers les vêtements et les chaussures nécessaires. Les malades doivent être conduits dans des hôpitaux et envoyés dans les provinces désignées après leur guérison.
En dépit de ces conditions, les prisonniers convoyés - entre la fin de l’automne 1812 et de l’hiver suivant - déjà affaiblis par les combats, connaissent de grandes souffrances y compris celles infligées par ceux qui les convoyaient. En outre, il est nécessaire de constater que l’administration n'est pas toujours en mesure de leur fournir ce dont ils avaient besoin.
Tout ceci explique que le 15 février 1813, 65.557 prisonniers, sur les 110.204, n’ont pas survécus au premier hiver et qu’ils ne sont plus que 44.647 en vie à cette date.
Une fois arrivés sur leur lieu de détention, les prisonniers sont logés dans des bâtiments publics ou militaires (casernes, monastères) ou au sein de la population urbaine ou rurale. Tous sont placés sous la surveillance de la police. Dans la plupart des cas, les officiers russes et les nobles locaux s'intéressent de près au sort des prisonniers de guerre, leur fournissant argent et vêtements, tout en les logeant chez-eux. Ceci était particulièrement le cas des gradés, des médecins, des musiciens, etc.
L'allocation journalière attribuée aux prisonniers se monte à 3 roubles pour les généraux; 1,5 rouble pour les colonels et lieutenants-colonels; 1 rouble pour les majors; 50 kopecks pour les sous-officiers et 5 kopecks pour les simples soldats - avec des provisions équivalentes à celles données aux soldats russes, ce qui correspond à une aide réaliste. Les sommes d’argent sont distribuées une semaine par avance.
Au début de l'année 1813, les autorités commencent à identifier parmi les captifs les artisans et les ouvriers d’industrie afin de les affecter dans les usines et manufactures russes. De même, les médecins captifs commencent à être repartis dans les hôpitaux, recevant pour cela le même salaire que leurs homologues russes avec un salaire complet.
En février 1813, un recensement des prisonniers de guerre est effectué dans l’ensemble de l'Empire russe, les listes des noms de généraux et d'officiers sont alors constituées et ont été conservées jusqu’à nos jours.
Grâce aux mesures prises, la situation des prisonniers s'améliore considérablement au cours de l'été 1813. Ainsi un système de soins médicaux est mis en place; la distribution de l’argent de poche, des provisions et des vêtements étant réglementée. Durant la même période, les abus des fonctionnaires se réduisent, alors que les prisonniers sont autorisés à gagner leur vie en travaillant.
Ceux qui le souhaitent sont invités à devenir sujets russes. Selon les données officielles, à la fin de l'année 1814, 17 officiers et 2.221 soldats exercent ce droit.
Fin 1812 - début 1813, le rapatriement partiel des prisonniers de guerre débute, en premier lieu avec les sujets des États devenus alliés de la Russie. Il s’agit en premier lieu des Espagnols, des Portugais et des ressortissants des États allemands, qui commencent à rentrer chez eux. Les Italiens et les Polonais sont les derniers à être libérés au printemps 1814, puis les Français à l'été de la même année. En juillet 1814, 14.611 anciens prisonniers avaient quitté la Russie et 44.076 se préparaient à partir. Un petit nombre d'entre eux sont restés à l'hôpital pour cause de maladie ou ont été détenus pour des délits graves.
Si l'on parle de la composition nationale des prisonniers de guerre, sur les 38.400 personnes dont la nationalité est connue en février 1813, on compte 14.170 Français, soit 36,7 %. A titre de comparaison, dans la Grande Armée, les soldats français étaient un peu plus de 50 %. Ainsi, environ 12 % des Français ayant franchi les frontières de l'Empire russe sont en captivité.
Enfin, 110 anciens prisonniers de guerre - dont 40 Français - ont laissé des souvenirs de leur captivité en Russie entre 1812-1814…
* S.N. Khomtchenko, PhD en Histoire, est le Chercheur en chef du Musée « Champ de Borodino »
Musée-domaine de Borodino - Le Champ de Borodino
Le musée du domaine de Borodino, le champ de Borodino, est un mémorial des deux guerres patriotiques, le plus ancien musée au monde créé sur une champ de bataille. Il y a plus de 200 monuments et sites commémoratifs sur le territoire du musée-domaine de 110 km2. Le musée propose cinq expositions permanentes. En 2007, le musée a reçu le prix de l'UNESCO pour la préservation et la gestion du paysage culturel. En 2017, le musée-réserve a été reconnu comme le meilleur musée d'histoire militaire.