Quel rôle joue le Pakistan dans le harcèlement islamiste de l’Inde ?

Le 26 novembre 2008 à Bombay (Inde), un commando islamiste a semé pendant 3 jours la terreur, tuant au total 165 personnes,  dont 26 touristes étrangers, et blessant 304 personnes.

Sur le déroulé de l’attaque voir : https://www.sdbrnews.com/sdbr-news-blog-fr/un-massacre-islamiste-que-loccident-veut-ignorer

Après l’attaque sur Bombay, les soupçons se sont rapidement concentrés sur « Lashkar-e-Taiba » (LeT), un vaste groupe djihadiste basé au Pakistan :

https://www.sdbrnews.com/sdbr-news-blog-fr/que-sest-il-rellement-pass-le-26-novembre-2008-bombay-

Nous devons maintenant poser la question qui gêne les chancelleries occidentales : quel rôle joue le Pakistan depuis plus de 30 ans dans le harcèlement islamiste de l’Inde ?

« Lashkar-e-Taiba » - LeT

Un article de Bruce Riedel publié le 1er juillet 2012 dans « Brookings » titrait : « le groupe Lashkar-e-Taiba responsable de l’attaque sur Mumbai est devenu plus dangereux qu’Al-Qaeda ! »

la menace

Et il ajoutait :

« L'arrestation de Sayeed Zabiuddin Ansari, alias Abu Jindal, à l'aéroport de New Delhi à la fin du mois dernier est une avancée majeure dans l'enquête sur l'attaque terroriste la plus meurtrière dans le monde depuis le 11 septembre. Abu Jindal a été l'un des cerveaux de l'attaque de novembre 2008 contre la ville de Mumbai. Il a déjà avoué son rôle et impliqué directement la Direction du Renseignement Inter-Services (ISI) pakistanais dans le contrôle de l'attaque qui a suivi son cours.

L'attaque de novembre 2008 par dix terroristes de Lashkar e Tayyiba (LeT) a été l'attaque terroriste la plus importante et la plus innovante depuis le 11 septembre 2001. Elle a marqué la maturation du LeT, passant d'un groupe terroriste pakistanais basé au Pendjab et ciblant l'Inde exclusivement, à un membre du djihad islamique mondial ciblant les ennemis d'Al-Qaïda : l'Occident croisé, l'Israël sioniste et l'Inde hindoue. LeT a utilisé les téléphones portables et la technologie GPS pour terroriser une ville entière et attirer l'attention mondiale pendant trois jours. Les cerveaux du LeT ont mené l’opération en temps réel depuis leur siège au Pakistan, prononçant même des condamnations à mort à l’encontre d’innocents ».

Cette incrimination directe des Services pakistanais a été reprise par Steve Coll, un journaliste doublement lauréat du prix Pulitzer, dans son livre paru en février 2018 « Directorate S: The C.I.A. and America's Secret Wars in Afghanistan and Pakistan » : l’auteur y cite entre autres choses l’enregistrement d’agents de l’ISI dirigeant à distance le commando pendant l’attaque de 2008 sur Mumbai, ce que le responsable de l’ISI n’a pas pu ignorer…

Dans un autre article publié par ICCT (International Center of Counter Terrorism) le 27 juin 2019, Prem Mahadevan explique ce qu’est LeT et ce qu’est la branche de l’ISI (Inter-Services Intelligence) pakistanais appelée aile « S ». En juin 2001, le magazine d'actualité pakistanais Newsline avait  publié un article dans lequel cette fameuse aile «S», était accusée d'incitation au terrorisme intérieur. Il suggérait que pendant l'interlude démocratique de 1988-99, lorsque des premiers ministres civils dirigeaient le pays, l'ISI avait utilisé des mandataires islamistes pour discréditer ces ministres en perpétrant des massacres :

  • massacre perpétré par des extrémistes sindhis dans la ville d'Hyderabad le 30 septembre 1988. Environ 250 personnes ont été abattues en seulement 15 minutes, principalement de la communauté minoritaire de Muhajir (descendants de réfugiés qui ont émigré d'Inde en 1947).

  • Le lendemain, les Muhajirs de Karachi ont riposté contre des Sindhis innocents, fracturant les efforts des politiciens civils pour former un front uni contre le régime militaire alors au pouvoir.

« Tout au long de la décennie suivante, des rumeurs ont persisté selon lesquelles l'ISI soutenait les factions séparatistes au sein des partis politiques traditionnels, en leur fournissant des armes à feu pour se cibler mutuellement… (lisait-on dans Newsline)

Il y a une similitude entre le massacre d'Hyderabad en 1988 au Pakistan et l'attaque qui a eu lieu à Mumbai deux décennies plus tard. Dans les deux cas, des équipes itinérantes de tireurs ont abattu des civils dans des lieux publics. Dans les deux cas, les auteurs ont échappé à la condamnation. Le cerveau présumé du massacre d'Hyderabad, un homme politique sindhi nommé Qadir Magsi, a été acquitté en 2017. Le principal suspect dans l'affaire de Mumbai, le chef militaire du « LeT », Zaki ur Rehman Lakhvi, a été libéré sous caution en 2014 après une affaire judiciaire dans laquelle des procureurs et au moins un juge ont reçu des menaces de mort »…

ISI parrain ou complice des terroristes islamistes ?

Au niveau diplomatique, Islamabad avait promis de coopérer à l'enquête sur l’attaque  du 26 novembre 2008 tout en insistant sur le fait que tout lien avec le territoire pakistanais n'était pas prouvé. Il semble qu’au Pakistan, tout a été fait pour effacer la piste des assassins menant au Pakistan en général et à Lashkar-e-Tayyiba (LeT) en particulier.

Or un certain nombre de chercheurs occidentaux, qui avaient été réticents à suspecter le Pakistan en 2008 et dans les années suivantes, ont endossé les affirmations indiennes disant, depuis 15 ans, que l’ISI était sinon complice du moins parfaitement au courant des préparatifs et des actions de Lashkar-e-Tayyiba.

Déjà en 2018, soit dix ans plus tard,  l'incapacité du Pakistan à rendre justice aux victimes de Mumbai avait érodé sa crédibilité au niveau mondial.

Le mobile et les cerveaux de Bombay

Au cours des enquêtes post-attentat, un djihadiste pakistano-américain du nom de David Headley (nom original : Daood Gilani) a été arrêté en octobre 2009 pour avoir planifié un attentat terroriste, du style de celui de Mumbai, au Danemark. Pendant sa détention aux États-Unis, il a affirmé avoir été un informateur de l'Agence américaine de lutte contre la drogue, chargée d'infiltrer la pègre au Pakistan.

Selon le témoignage de Headley devant un tribunal américain, il avait été formé par l’ISI aux techniques de collecte de renseignements. Ses interrogatoires ont montré l’implication d'un agent du LeT appelé Sajid Majeed (souvent appelé «Sajid Mir» dans les médias internationaux). Majeed était directeur adjoint du département des opérations externes du LeT et s’occupait des djihadistes du monde entier.

Headley a déclaré que l'opération de Mumbai avait été coordonnée par Majeed. Il a également affirmé que les dix hommes armés qui ont attaqué Mumbai avaient été entraînés par d'anciens membres des forces spéciales de l'armée pakistanaise…

Les témoignages de Headley ont permis de confirmer que l’ISI avait trois objectifs dans les attentats contre Mumbai :

  1. contrôler les divisions dans les éléments de « LeT » basées au Cachemire,

  2. leur donner un sentiment de réussite et forcer le respect de la communauté djihadiste,

  3. déplacer le théâtre de la violence du sol domestique vers l'Inde et la minimiser au Pakistan.

Puisque le massacre aurait lieu en territoire indien, il n’y aurait pas de lien évident avec le Pakistan à condition que les assaillants combattent à mort et ne soient pas pris vivants.  Donc contrôler les terroristes par téléphone était peut-être destiné à leur remonter le moral dans cette mission kamikaze. De nombreuses attaques téléguidées de ce type ont été menées dans le Cachemire sous administration indienne par le passé, sans aucune conséquence diplomatique grave pour le Pakistan.

La capture inattendue d’Ajmal Kasab par la police de Mumbai dans la nuit du 26 novembre 2008 a privé le plan de son principal atout : la possibilité de le nier.

Une enquête timide côté pakistanais

Le problème est en partie structurel. Une étude de 2010 a révélé qu’une majorité de Pakistanais ne croient pas que les groupes djihadistes basés au Pakistan, et qui opèrent dans le Cachemire indien, se livrent au terrorisme. Ces opinions sont peut-être plus répandues dans la société pakistanaise qu’Islamabad n’aimerait le faire savoir aux publics étrangers. Il y a aussi le problème de l'insuffisance de l'information. Comme l'a observé Joshua White, un analyste antiterroriste américain, de nombreux Pakistanais perçoivent LeT comme une organisation caritative, contrairement aux observateurs étrangers qui sont plus conscients de son côté violent.

Liens possibles entre le LeT et Al-Qaïda

ben laden

Selon les journalistes d'investigation britanniques Cathy Scott-Clark et Adrian Levy, la cachette d’Usama Ben Laden à Abbottabad pourrait avoir été construite sur un terrain acheté par Lashkar-e-Taiba.

En 2008, selon deux anciens assistants du dirigeant de Lashkar-e-Taiba Hafiz Saeed, Usama Ben Laden s'était rendu à Manshera pour assister à une réunion extraordinaire pour l'opération de Mumbai du 26 novembre 2008 (qui était devenue le 26/11). Elle avait été facilitée par Lashkar, supervisée par l'aile S-Wing de l'ISI et parrainée par Al-Qaïda.

En outre, les documents saisis lors du raid du commando américain qui a tué Ben Laden ont révélé que Hafiz Saeed correspondait avec le chef d'Al-Qaïda jusqu'à la mort de ce dernier. Usama lui-même avait manifesté un vif intérêt pour l'arrestation et le procès de David Headley par les autorités américaines en 2009-2010. Ce sont ces conclusions qui ont conduit les États-Unis à déclarer une récompense pour les informations qui ont conduit à l'arrestation et à la condamnation de Saeed.

Le point de vue indien après le massacre de Mumbai

La réponse politique de l’Inde fut essentiellement axée sur la nécessité de prouver au niveau diplomatique les liens du Pakistan avec l’attaque de Bombay, allant même jusqu’à exclure des représailles militaires.  

Si l'Inde avait attaqué le Pakistan suite à l’attaque terroriste de Mumbai, l’implication du Pakistan aurait été occultée par la communauté internationale et l'attentat serait devenu aux yeux du monde juste un autre conflit entre l'Inde et le Pakistan...

Les bonnes âmes auraient appelé à la paix et  auraient décrété une responsabilité à 50/50 au nom de l'équité ou de l'impartialité. C'était exactement ce que voulait l'armée pakistanaise.

Cela ne vous rappelle-t-il pas le pogrom du 7 octobre 2023 en Israël, qui de victime du Hamas est devenue bourreau aux yeux du monde ?

Malgré la retenue de l’Inde, le Pakistan n'a pas répondu par la coopération, mais a plutôt pris le parti d’agir le moins possible contre le LeT ou le plus légèrement possible.

Mais en cas d’autre attaque à grande échelle comme à Mumbai en 2006 et 2008, l’Inde ne se retiendrait plus de réagir militairement.

Les démarches diplomatiques ont montré aux Indiens que les Etats-Unis ne bougeraient pas tant que leurs intérêts directs n’étaient pas en jeu et que la CIA préférera toujours fermer les yeux. La preuve vaut pour le Pakistan comme elle vaut pour la Turquie, qui depuis des années mène une politique anti-occidentale et anti-européenne, au vu et au su des États-Unis qui en a fait un allié privilégié !

Alain Establier

Sources:

Damien McElroy and Rahul Bedi, “Bombay Attacks: Britons and Americans Targeted,” Telegraph, 27 November 2008, https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/asia/india/3529123/Bombay-attacks-Britons-and-Americans-targeted.html

Wilson John, The Caliphate’s Soldiers: The Lashkar-e-Tayyeba’s Long War (New Delhi: Amaryllis, 2011) and Stephen Tankel, Storming the World Stage: The Story of Lashkar-e-Taiba (New York: Columbia University Press, 2011)

https://icct.nl/publication/decade-2008-mumbai-attack-reviewing-question-state-sponsorship#_edn1

https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/07/avoidingarmageddon_chapter.pdf

https://www.theguardian.com/world/2016/feb/08/mumbai-hotel-attacks-court-hears-of-earlier-attempts-on-city

https://www.britannica.com/event/Mumbai-terrorist-attacks-of-2008

https://indianexpress.com/article/india/26-11-mumbai-terror-attacks-timeline-of-what-happened-during-64-hours-of-operation-7642091

 Photos credits: Associated Press, Encyclopedia Britannica